Le management par les compétences soutient la capacité d’initiative des équipiers et appelle une formation à l’emploi adaptée à cet enjeu.

François Hubault, professeur en ergonomie à Paris 1 décrit ainsi le travail dans la relation de service[i] »[…], « l’opérateur » doit comprendre et répondre, autrement dit « agir » et pas seulement « faire »[…] ; son travail est une « activité de pensée », d’imagination et de création, ce qui requiert son implication et donc suppose son autonomie, […] de sorte que ses conditions de travail doivent être conçues comme les conditions qui l’aident à penser, à s’impliquer, à s’engager, selon un dispositif organisationnel qui mêle de manière originale les dimensions matérielles (bruit, visibilité, déplacements, etc.) , cognitives  (formation, information, traitement, etc.) et subjectives (signification, responsabilité, reconnaissance, éthique).

[…] ces conditions [de travail] ne peuvent être correctement dimensionnées et articulées que si l’entreprise (privée, publique, administrative, etc.) sait elle-même penser cette relation de service, c’est à dire si elle précise suffisamment ce qu’elle en attend dans l’ordre de ses propres finalités […].

Ainsi, pour François Hubault, le manageur doit orchestrer deux choses concomitamment :

  • Organiser des conditions de travail qui favorisent la pensée créative et l’implication.
  • Rendre explicites les résultats attendus du travail.

Ici, il sera question des conditions de travail et des modalités de formation qui favorisent la pensée créative et l’implication.

le management par les compétences.

Une conception du management adaptée à l’action sociale et médico-sociale : le management par les compétences.

En général, cette conception du management s’applique préférentiellement aux organisations dont la mission nécessite une autonomie d’action, de décision et de capacité à résoudre les problèmes qui se posent au fur et à mesure de l’action. Elle s’inscrit dans la définition de la compétence par  Guy Le Boterf : capacité à agir, à prendre une décision, à résoudre un problème dans l’action. Cette approche managériale s’attache à développer les compétences à partir de l’analyse partagée des actions et de leurs effets. Les professionnels développe cette analyse au regard de la finalité de la mission de l’établissement ou du service. Ceci rejoint la conception défendue plus haut par François Hubault.

Le lien avec la « clinique » est évident. Celle-ci est ici entendue comme la capacité à se réinventer en tant que professionnel en partant de l’écoute effective de la personne accompagnée, de sa prise en compte comme humain unique et interlocuteur responsable.

Si le travail socio-éducatif, et/ou pédagogique et/ou soignant s’inscrit dans une acception clinique, alors ce travail fait bien appel à cette capacité d’arbitrage, de création, pour répondre à des situations toujours nouvelles. Toujours nouvelles car mobilisant des personnes uniques dans un contexte qui leur est à chaque fois particulier.

Les groupes d’analyse des pratiques professionnelles s’inscrivent parfaitement dans l’esprit du management par les compétences. Ces groupes permettent de mener une analyse partagée de ce qui se passe au quotidien. Il en est de même du mentorat[ii] du coaching[iii]individuel ou collectif et des Groupes de Co-Développement Professionnel.

Le management par les compétences articule en permanence :

  • la définition de la finalité du travail,
  • les résultats attendus de l’action tels qu’ils sont énoncés dans les projets personnalisés et le projet d’établissement et de service,
  • les problématiques et les besoins des personnes accueillies,
  • les contextes des actions,
  • les analyses des résultats et des effets des actions menées.

Cette articulation est celle que mène l’évaluation interne telle que l’ANESM[iv]l’avait définie dans sa recommandation de bonne pratique[v].

Le nouveau référentiel d’évaluation de la Haute Autorité de Santé (HAS) va dans le même sens . Il structure l’évaluation autour du Développement du Pouvoir d’Agir et de la réflexion éthique, en vérifie l’effectivité à travers les process tels qu’ils sont perçus par les personnes accompagnées, appropriés par les professionnels et animés par le management.

S’accorder et s’approprier ce qui est attendu du travail du collectif est primordial, mais pas suffisant. Reste à ce que chacun sache quelle est sa contribution à ce travail collectif et possède les compétences individuelles à sa réalisation.

Une définition du management des services médico-sociaux :

Une définition possible du management dans le secteur médico-social pourrait être : « Organiser les plus grands dénominateurs communs entre le projet de l’organisme gestionnaire et les projets professionnels de ses collaborateurs », et « Articuler le plan d’amélioration et le plan de formation ».

Concernant le premier point, l’articulation entre les projets professionnels des salariés et le projet d’établissement, l’enjeu, pour le manageur, est d’accompagner les salariés dans un cadre clair : Si tout le monde a à gagner dans la conjonction entre projet professionnel et projet d’établissement, la priorité donnée au dernier est de principe tant déontologique que légal (détourner un collectif pour son projet personnel relève de l’abus de bien social).

Concernant le second point, le plan de formation, quelles modalités seraient opportunes ?

Management par les compétences et formation professionnelle continue.

Au plan individuel, dans certains cas, un renforcement ou une nouvelle qualification sera nécessaire. L’offre est abondante et le choix entre plusieurs modalités possibles ; la question sera souvent de trouver le financement.

L’évaluation des formations individuelles faites par leurs bénéficiaires fait ressortir majoritairement une satisfaction sur la formation elle-même (appropriation de nouvelles pratiques, réassurance, ouverture) mais un faible impact sur les pratiques, l’ensemble de l’équipe ne percevant pas cet apport, voire pouvant se sentir remis en cause.

Le management par les compétences privilégiera ainsi des formations collectives, sans exclure les formations individuelles pour peu qu’elles viennent servir une stratégie de développement des compétences pensée au sein du collectif[vi].

Il privilégiera également des modalités de formation sollicitant la contribution active des membres du collectif, cela pour plusieurs raisons :

  • les membres du collectif ont des compétences à partager (même si des pratiques deviennent obsolètes, elles ont mobilisé des compétences dont une partie est transférable : il y a des invariants dans la relation d’aide),
  • cela favorise la transdisciplinarité (les apports de chaque métier sont mieux identifiés),
  • cela renforce la compétence collective de coopération et l’autonomie dans la pratique.

En contrepartie, cela risque de renforcer le repli du collectif sur lui-même et l’autoréférence. Le risque sera d’autant plus facilement évité que les apports extérieurs seront recherchés et la mobilité interne et externe favorisée.

De la « classe inversée » à la « formation inversée »

En ce qui concerne les modalités de formation, il y a tout lieu de s’inspirer du modèle de la « classe inversée » : l’élève prépare le cours en amont en se familiarisant avec de nouveaux savoirs et le cours est consacré à la mise en œuvre. L’ensemble est préparé et accompagné par l’enseignant.

Par exemple en enseignement supérieur, l’enseignant définit les critères et indicateurs qui lui serviront à évaluer le travail de l’étudiant. L’étudiant fait son affaire de l’acquisition des savoirs avec les moyens mis à disposition (bibliothèque, « formation massive ouverte à tous » (MOOC : massive open online course en anglais), vidéos conférences, etc). Le contrôle se fait lors du cours assuré par les étudiants (et non par le professeur, lequel est là pour guider, évaluer et compléter).

Dans le cadre de la formation professionnelle continue d’adaptation à l’emploi, cette conception apparaît pertinente : l’apprenant possède des compétences, son autonomie est recherchée, et on apprend mieux en faisant. L’aider à acquérir par lui-même les savoirs dont il a besoin va dans le sens recherché.

Suivant sa formation initiale et ses besoins, il le fait avec les supports mis à sa disposition, en petit groupe ou seul, avec ou sans le formateur. Une partie peut ainsi être développée en « formation à distance » par l’accès à des contenus mis en ligne. Dans tous les cas, la vérification des acquisitions se fait en présence du formateur et avec la contribution des collègues.

Ce dispositif de formation est le plus exigent en investissement des apprenants, dont l’initiative est fortement sollicitée. Tout en acquérant de nouvelles connaissances, les membres de l’équipe développent leur coopération et renforcent leurs compétences.

Il est également plus exigeant pour l’organisme de formation, notamment le formateur :

  • doit suffisamment maîtriser son sujet pour accompagner les apprenants selon leurs propres modalités et être à l’aise dans sa fonction d’animation et d’accompagnement ;
  • doit être disponible et en proximité des apprenants.

Le déroulé de la formation est adapté à chaque organisation. C’est plus complexe à mettre en œuvre que l’achat d’une formation « clé en main ». En revanche, ce travail « à la carte » est plus efficient car :

  • il internalise mieux les compétences nouvelles,
  • mobilisant l’ensemble de l’équipe, il est un gage de la mise en œuvre effective de la nouvelle pratique ou l’amélioration recherchée du service rendu,
  • encore une fois, il développe l’autonomie et la coopération.

Certes cette approche de la formation demande plus d’investissement en temps et argent, mais l’alternative n’est-elle pas de faire, à moins cher, une formation peu efficiente ?

[i]In revue Mouvement N°58 avril-Juin 2009, page 101.

[ii]Accompagnement par un aîné expert du domaine professionnel.

[iii]Accompagnement dans l’élaboration de stratégie ou de résolution de problème par un non expert du domaine professionnel.

[iv]Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

[v]La conduite de l’évaluation interne dans les établissements et services visés à l’article L.312-1 du code de l’Action sociale et des familles.

[vi]Cette priorité donnée à la formation collective peut interpeler, Jean-Daniel Reynaud dans un article parle à ce propos d’une révolution (REAYNAUD J.-D. « Le management par les compétences : un essai d’analyse » (Sociologie du TravailVol. 43, No. 1 (Janvier – Mars 2001), pp. 7-31).

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