Les IME et l’accessibilité universelle :

Une injonction paradoxale, aujourd’hui ?

Article paru dans la revue EMPAN : « Les IME : Enjeux et perspectives »

EMPAN N° 104 – Décembre 2016  – Editons ERES

ARSEAA : https://www.arseaa.org

ERES : https://www.editions-eres.com

De la relégation à l’accessibilité universelle.

L’histoire des IME s’inscrit dans le rapport de la « Cité » avec ses composantes. En ce qui concerne les sociétés occidentales, il est frappant de voir que toutes ont évolué d’une plus ou moins grande relégation des personnes handicapées à une politique d’inclusion. Souvent celles qui sont allées le plus loin dans la relégation se sont ensuite engagées plus résolument dans la mise en œuvre de l’accessibilité universelle.

Avant guerre, en France, les enfants handicapés étaient souvent cachés, l’école leur était fermée. Après guerre, leurs parents se sont mobilisés et battus pour qu’ils reçoivent une éducation. Avec les « 30 glorieuses », les centres se sont multipliés apportant, dans les meilleurs cas, une éducation ainsi qu’une protection contre une société excluante. Chacun se satisfaisait que le soin, l’enseignement et l’éducation des enfants handicapés ne relèvent pas du droit commun mais de l’éducation spécialisée.

Pour ce qui est de la socialisation, la question était de savoir si l’enfant pouvait s’adapter à l’institution qui l’accueillait et allait le « prendre en charge »1, son adaptation à la vie ordinaire était renvoyée à plus tard, après qu’il ait reçu l’éducation et le soin lui permettant d’accéder à l’autonomie.

Nous autres, professionnels, construisions notre identité professionnelle sur notre qualité d’accueil, d’écoute, de prise en charge et notre expertise. Avec dévouement, souvent affection, nous avons ainsi construit des institutions qui ont fonctionné en parallèle avec le droit commun.

Pour ce qui est du champ historique des IME, celui de l’accueil des enfants avec une déficience intellectuelle, se sont ainsi construits des écoles spécialisées, puis des lieux de vie et de travail spécialisés pour adultes2.

Puis est venu le temps d’une analyse critique des institutions. Au cours des années 60, s’appuyant sur la critique du grand enfermement par Michel Foucault et de l’institution totale par Erwing Goffman, ainsi que sur les critiques menées par le mouvement de l’antipsychiatrie, se développe un vaste courant de pensée de remise en cause des grandes institutions que sont l’hôpital, la prison, l’école. Furent développées des offres de prise en charge alternatives à proximité des lieux de vie des personnes : c’est l’époque du « small is beautifull ».

Les institutions médico-sociales furent également remises en cause. Les parents qui avaient porté la création des institutions et les professionnels qui s’y sont investis ont vu arriver avec perplexité, quand ce n’était pas avec incompréhension et douleur, des parents revendiquant pour leurs enfants handicapés un autre accompagnement, au plus prêt de la vie ordinaire.

C’est l’époque de la création d’associations de parents prônant l’insertion scolaire, de référentiels tels que la « Valorisation des Rôles Sociaux », les premiers pas de l’évaluation.

Aujourd’hui, c’est la conception même du service à l’usager qui évolue : un usager porteur de droits – droit à l’information, à la protection, à une réponse de qualité, au libre choix, …- et non plus destinataire captif d’une réponse conçue par les professionnels.

Les institutions ont déjà engagé une large diversification de leurs services qui s’apparente à cette « désinstitutionnalisation » attendue, entrainant les « grandes institutions » (l’école, la santé, …) dans de nouvelles formes de coopérations, cherchant des solutions concrètes aux limites d’une société qui ne se pense pas toujours inclusive.

La responsabilité de l’inclusion devrait revenir au droit commun.

Si, jusqu’à ces dernières années, le soin et l’enseignement des enfants en situation de handicap (et non plus handicapés) étaient de la responsabilité du secteur médico-social, aujourd’hui s’est engagé un renversement des responsabilités : en vertu de l’accessibilité universelle, c’est aux institutions de droit commun, d’assurer, en leur sein, ce soin et cet enseignement. Le rôle du secteur médico-social devient alors celui d’accompagnateur des enfants en situation de handicap en leur apportant les prestations (compensations) répondant à leurs besoins pour qu’ils bénéficient, comme tout enfant, de ces ressources de droit commun.

Voilà pour ce qui est de l’évolution de fond. Mais qu’en est-il aujourd’hui pour les usagers et les professionnels sur le terrain ? Rien n’est simple et cette évolution ne se fait pas sans tensions ni retours en arrière.

Les responsables d’IME qui souhaitent s’engager dans cet accompagnement, souvent à l’occasion de contrat d’objectifs et de moyens, sont soutenus dans cette idée par leur administration de contrôle3 tout en leur demandant de maintenir leur capacité d’accueil en internat, tant la question des « places » reste une préoccupation quotidienne.

De même, s’appuyant sur l’expérience actuelle de l’insertion, l’inclusion est dite accessible aux enfants ayant une autonomie et des compétences sociales suffisantes pour s’adapter à l’école ordinaire, renvoyant aux IME le rôle d’accueillir ceux qui n’ont pas (voire n’auraient pas) ces compétences. La question de l’inclusion devient ainsi une discussion autour du déplacement du curseur de l’intégration plutôt que la mise en œuvre progressive de l’obligation légale et morale de l’accessibilité à tous du droit commun, chacun disposant des « compensations » rendant cette accessibilité bénéfique pour tous. Les professionnels et usagers des IME s’inquiètent de cette politique du curseur risquant de faire des « IME dans leurs murs » des lieux de relégation.

L’inclusion : un espace de tension entre des choix de société

Ces craintes sont fondées tant les discours peuvent parfois apparaître contradictoires et les tensions réelles : entre un vivre ensemble qui ne soit pas entre soi et crainte du déclassement, entre attentes et contraintes économiques, entre liberté et protection.

Des retours en arrière ne sont pas à exclure, mais il est plausible de penser qu’ils seront temporaires tant l’attente d’une société inclusive est forte, constante et éthiquement justifiée. Cette attente est portée par les personnes en situation de handicap et leur entourage, dont l’entourage professionnel.

Cette évolution vers une société inclusive est d’autant plus probable que l’on passe aujourd’hui d’une place de l’usager « porteur de droit » à l’usager « décideur et contributeur » de son parcours de soin et de vie.

Cela renoue avec l’approche clinique qui trouve là une cohérence renforcée avec une inscription sociale de la personne. Que ce soit au plan individuel du projet personnalisé ou au plan plus global de la construction et de l’évaluation des politiques sociales, la participation effective des usagers et/ou de leur représentant devient une évidence incontournable. Dans un autre cadre conceptuel, il est parlé d’expertise d’usage des personnes accompagnées et aussi de leur « capacité à décider et agir ». Par exemple, des co-formations se mettent en place associant usagers (ou, pour les enfants, représentants des usagers) et professionnels dans la conception et la mise en œuvre de parcours de formation.

Dès lors, il serait bien dommage de subir une telle évolution. D’autant plus que si le chemin pour parvenir à une société inclusive est difficile pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, en revanche le « gain » pour le bien commun vaut bien l’effort.

L’inclusion scolaire, un choix efficient

Pour les usagers, parvenir à vivre parmi les autres, en mobilisant les thérapies, soutiens et accompagnements qui le permettent, constitue à la fois un élément de qualité de vie et, notamment pour les enfants, un appui fort pour leur développement et la constitution de leur identité. Je pense, par exemple, à cette pré-adolescente atteinte d’épilepsie et d’un retard de développement qui écrivait sa « carte d’identité » : son prénom et son nom, le nom de son école, son âge, et … son code d’accès à sa boite mail. Son inclusion, dans une petite école permettant des parcours multiples et les soins dont elle a bénéficié, lui ont permis de développer une intelligence des situations et des relations humaines, d’accéder à la lecture et l’écriture (beaucoup moins pour le calcul) et d’atteindre un niveau de symbolisation que l’on n’avait pas cru possible. Je pense à ce jeune avec autisme accompagné dans un « IME hors les murs » qui, durant 6 mois, n’a pu se déplacer au sein de son école qu’avec la main sur l’épaule de son éducatrice. Aujourd’hui ses relations avec les autres sont rares, mais il se déplace seul et répond quand on lui adresse la parole. Mais je pense aussi à cet enfant qui s’est bloqué après une altercation avec un de ses pairs et pour qui il a fallu mettre en place temporairement un répit, le temps de retravailler avec l’école une organisation qui s’avérait trop problématique pour lui.

Pour l’école, le défi est immense. Force est de constater que si l’individualisation des parcours est dans les textes, son ADN est la « culture du programme », le même pour tous. Freinet, Montessori, sont reconnus pour leur pertinence sans pour autant être une référence dans l’organisation des parcours de scolarisation. Les travaux de François Dubet (entre autres) montrent bien que l’école est confrontée à deux attentes irréconciliables : un double lien évident, être à la fois l’école pour tous, apportant réussite à tous, et à la fois un lieu de hiérarchie d’excellence, donc de ségrégation. La mise en œuvre de l’accessibilité universelle est une occasion de dépasser par le haut ce paradoxe car elle oblige à penser une organisation qui reconnaît la multiplicité des niveaux et des parcours d’apprentissage, dans un respect des personnes qui exclut une vision ségrégative. Par l’indispensable présence de professionnels autres qu’enseignants, pour permettre ces parcours pour tous, c’est un processus d’ouverture qui est en œuvre. Il nuance l’idée de l’enseignant « seul maître dans sa classe », idée parfois protectrice, mais parfois terrifiante.

L’expérience montre que l’arrivée et la présence à demeure d’une équipe IME au sein de l’école est une chance. Dans un premier temps, cette équipe et les enfants qu’elle accompagne sont marginaux au sein de l’école, mais progressivement les uns et les autres s’apprivoisent. Au bout de 6 mois à un an, la cohabitation se transforme en partenariat qui se structure progressivement, les uns et les autres co-construisent alors leur coopération, au-delà même des enfants en situation de handicap.

Pour les gestionnaires des IME, et les professionnels qui y travaillent, l’accompagnement de l’inclusion est également un défi immense.

Pour les gestionnaires, c’est le défi d’une réorganisation dans un contexte de moyens très contraints, où il est demandé de faire cohabiter un fonctionnement classique « dans les murs » et un redéploiement « hors les murs ». C’est effectivement une phase incontournable. Elle nécessite un financement de transition qui ne se conçoit que dans le cadre d’une garantie, soit de financement complémentaire, soit d’un équilibre à terme. Cela implique que l’administration de contrôle s’engage sur une règle de financement sur un, voire deux, CPOM de 5 ans. C’est aussi la nécessité de se mettre d’accord sur un rendu compte de l’activité qui soit sur le fond du « service rendu », à savoir l’accompagnement et le soutien direct auprès de l’enfant autant que l’accompagnement et le soutien de l’entourage et des professionnels du droit commun (enseignants en l’occurrence). Les travaux actuels de la Caisse Nationale de la Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), SERAPHIN-PH, constituent un appui pour penser ce rendu-compte. Enfin, c’est un nouveau projet d’établissement qu’il faut construire pour en faire un référentiel qui fasse « institution autrement » et accompagne les professionnels dans l’acquisition d’un nouveau métier.

Le métier d’éduquer, comme d’autres métiers, peut-être plus que d’autres métiers, impose de faire un choix entre des objectifs parfois peu conciliables : laisser la liberté d’expérimenter l’autonomie et protéger ; soutenir l’application d’une règle collective et donner à un jeune le temps de « se calmer » ; admettre un jeune en errance et au comportement problématique et respecter l’équilibre d’un groupe ; etc. L’institution « dans ses murs », avec le « vivre avec » dans un cadre qui est le sien, avec la proximité des équipiers et de la hiérarchie facilite la régulation au quotidien. Ceci explique, pour une part, l’attachement au collectif et aux « murs ».

Développer un projet « hors les murs » impose de rechercher une autre voie pour « faire institution ». Les éducateurs en SESSAD ou en AEMO savent qu’ils travaillent de façon plus autonome et solitaire qu’en institution. Ce qui leur permet de mener leur travail dans une « cohérence institutionnelle », c’est un référentiel professionnel commun et un partage en équipe à un intervalle régulier.

Le travail médico-social au sein des écoles.

Lorsqu’on travaille non « hors les murs », mais « dans les murs d’une autre institution », cela suppose d’autant plus d’avoir construit ce référentiel professionnel. Celui-ci est un cadre porteur de sens et de principes de travail. Il définit des lignes directrices, plus que des règles, et des critères d’évaluation de la qualité de l’accompagnement6. Pour être pleinement partagé et efficient, ce référentiel est co-construit au sein de sa propre équipe et de son institution de rattachement, puis avec avec l’institution d’accueil (ici l’école).

Car ce n’est pas le même métier que d’accueillir et accompagner un enfant en situation de handicap dans un cadre où l’on maîtrise le contexte, et faire ce travail dans un environnement qui n’est pas le nôtre et que l’on ne maîtrise pas. Cela est légitimement vu par certains comme un « retour à la source » de la clinique éducative. Pour celle-ci, ce qui importe est une qualité d’écoute et des médiations adaptées à chaque problématique. Travaillant au sein de l’école, prendre le temps de l’écoute suppose de différer la mobilisation de son savoir pour, en « position basse », penser et co-construire le projet personnalisé avec l’usager, en y impliquant, toujours avec lui, son entourage et les autres professionnels. C’est bien là une position clinique éducative, celle qui prend en compte, sans a priori, la problématique de chacun, problématique incluant l’inscription et les contingences sociales de la personne accompagnée.

Un référentiel qualitatif fort et une évaluation régulière permettent à cette clinique éducative d’advenir : plus le cadre est porteur de sens et s’inscrit dans une éthique du quotidien, plus est possible la liberté d’une écoute clinique et de parcours personnalisés, chacun sachant en quoi ces parcours seront jugés satisfaisants ou à repenser.

Et dont « l’internat » devient le paradigme.

La question devenant aujourd’hui celle de maison de retraite spécialisée (ou non).

3 les ministères, la CNSA, l’ANESM soutenant l’inclusion, leurs relais locaux ne peuvent les déjuger.

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