La mutation du médico-social
« virage inclusif », développement de « plateforme de service », dispositif ITEP, DAME, placement à Domicile, habitat inclusif, ESAT et IME hors les murs, …
Mise en œuvre de CPOM stratégique …
Développement de projet de territoire …
Anticiper et piloter le changement
Ces évolutions des organisations et des pratiques médico-sociales appellent un processus de changement qui s’anticipe et se pilote.
Parer au plus pressé, s’engager « en force » ou presque, est une tentation permanente. Y céder, c’est préparer le renforcement de la « résistance au changement » et le burnout des équipes. (voire l’échec de la transformation).
L’objectif général sera atteint sans que les équipes aient développé les nouvelles compétences nécessaires au déploiement des nouvelles pratiques : elles se seront mises en « conformité » apparente, sans s’investir dans une nouvelle culture.
Voici deux points de vue qui peuvent aider.
Au point de vue des personnes, mieux vaut que le manageur considère que :
la résistance au changement est normale.
La médecin psychiatre allemande Elizabeth Kubler-Ross nous éclaire sur le processus de deuil qu’entraîne un changement non choisi : il s’agit de quitter un état A (que l’on maîtrise, même s’il nous insatisfait) pour atteindre un état B (que l’on ne maîtrise pas, voire que l’on ne se représente pas bien).
Un tel mouvement n’est pas simple, il est légitime que la personne s’en inquiète.
Les travaux d’Elizabeth Kubler-Ross ont inspiré le schéma suivant, illustré par Aysseline de Lardemelle dans la vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=7nK2T3NZ9Xk
Les phases du changement
Déni : « Je ne suis pas concerné »
Colère / peur : « c’est n’importe quoi » ; « on nous a déjà fait le coup, ça marche pas » ; « je m’en occuperai quand j’aurai le temps » ; autres réactions : révolte sourde ; résistance passive.
Marchandage : « Si tu persistes, je m’en vais » ; « Je le ferais, si tu me donnes tel moyen »
Tristesse / Dépression : la personne n’a plus d’énergie, a un comportement dépressif ; elle perd sa capacité d’agir.
Résignation / Choix : « J’ai compris que l’on va vers autre chose, mais je ne sais pas comment, ni me représente clairement le futur, mais c’est inéluctable ». C’est le temps du choix : soit on suit, soit on quitte la structure.
Acceptation : « Je regrette [l’ancienne situation], mais je vais m’investir dans ce projet » ; la personne commence à sortir du deuil de la situation de départ et retrouve sa capacité à agir.
Intégration : « J’ai compris les raisons du changement et son intérêt, je me suis fait une représentation de la future réalité » ; la personne agit avec plus de pertinence, perçoit les opportunités.
Expérimentation : La personne agit en cohérence avec le plan d’action, elle expérimente pour développer des pratiques adaptées au nouveau contexte, elle les partage.
Quel accompagnement ?
Au début, le manageur, communique régulièrement sur les déterminants du changement, les perspectives, le projet. Il est également dans l’écoute, l’échange, sans chercher à rassurer (ce qui serait contre-productif, il y a un temps de deuil et un temps de compréhension et d’action). Le manageur aide à mettre des mots sur l’émotion.
Dans un second temps, celui de la remise en question, il accompagne et soutient les échanges. Il ouvre des débats sur les conditions de réussite du changement et ses critères d’évaluation (apprécier en quoi le changement permet de mieux servir le but de la structure). Il valorise les contributions et renforce sa présence auprès de ceux qui sont dans la réserve.
Dans le troisième temps, le manageur encourage les initiatives et engage un travail collectif sur un ou plusieurs projets communs.
Dans le dernier temps, il souligne le travail accompli, renforce le sens de la démarche. Il encourage ses équipes dans la poursuite de l’amélioration continue du fonctionnement.
Respecter ses équipiers, c’est reconnaitre la légitimité de cette évolution individuelle dans le processus du changement et la nécessité pour la plupart de passer par chacune des phases décrites dans le graphe, voire des possibles retours en arrière.
En résumé, le manageur est dans l’empathie, l’écoute. Il reste ferme sur l’objectif (le « vers quoi ») tout en suscitant les contributions sur « le comment » et donne le temps au temps.
Si au plan individuel, la résistance au changement est normale, en revanche,
au plan collectif, la résistance au changement résulte d’une inadéquation de la démarche.
John Kotter, enseignant à Harvard, a consacré une grande partie de sa carrière au management du changement. Avec un chef d’entreprise, Holger Rathgeber, il a écrit un petit opuscule « Alerte sur la banquise ! ».
Dans ce livre, il s’appuie sur la fable d’une colonie de Manchot confrontée au risque de dislocation de son iceberg. Voici les enseignements que l’on peut tirer pour les secteurs social, médico-social et santé.
Le management du changement se fait en 8 phases successives.
1 « Établir l’urgence du changement » : Aider le collectif à percevoir la nécessité du changement et l’importance de le prendre en compte maintenant. Il ne s’agit pas de développer une panique contreproductive, il s’agit de favoriser la mise en mouvement au regard d’un enjeu.
Le manageur prend en compte le nombre et la proportion des personnes qui perçoivent la ou les raisons impérieuses du changement. Il construit avec elles un argumentaire adapté à ses interlocuteurs. Il s’attache aux arguments de faits et s’assure qu’ils sont présentés par les personnes les mieux à même d’être entendues et comprises.
2 Constituer une équipe coopérative : Ce groupe est doté des compétences de leadership, de crédibilité, de capacité de communication, d’autorité naturelle (≠ hiérarchique, qui n’est ici d’aucun recours), de compétences analytiques. Le manageur s’assure que cette équipe dispose du temps et des moyens de son action : animer le changement prend du temps. Les membres de l’équipe sont disponibles pour animer, soutenir, co-construire. Ils doivent donc être déchargés d’une partie de leur travail pour être à même d’assurer cette fonction chronophage.
Donner toute sa place au CSE. l’inclusion d’une représentation du CSE au sein de l’équipe coopérative est envisageable, cela dépendu du contexte. En tout état de cause, il est préférable d’inclure le CSE au plus tôt et être à l’écoute de ses contributions. Il est nécessaire qu’il maîtrise le sens du changement pour pouvoir se prononcer avec pertinence.
Le manageur s’investit dans l’animation de cette équipe coopérative.
DÉCIDER QUOI FAIRE, 3 Développer la vision et la stratégie : L’équipe coopérative précise en quoi l’avenir sera différent du passé et comment cet avenir deviendra réalité. Il développe les lignes stratégiques, recherche auprès des collègues des contributions en termes d’objectifs intermédiaires, fait ainsi savoir que la contribution de chacun sur le « comment » est précieuse.
L’équipe recherche et soutient les personnes qui manifestent un intérêt pour le changement. Il affine ses argumentaires, facilite le débat, prend en compte les arguments, diversifie ses voies de communication.
4 Faciliter la communication et l’adhésion : L’objectif est que le plus grand nombre de personnes comprennent la vision et la stratégie, toutes les parties prenantes sont invitées à contribuer.
En aucun cas il s’agit de « faire taire » les résistances. Le changement de fond se co-construit et les avancées résultant de cette co-construction sont communiquées avec les supports les plus appropriés, tels que :
- affichage, ou « journal du projet » ;
- groupe de parole, ou point à l’ordre du jour des réunions d’équipe ;
- communiquants internes.
5 Donner le pouvoir d’agir : C’est dans l’action, l’expérimentation, que la phase de dépression/résignation se dépasse.
Le management fait évoluer l’organisation, voire les délégations, pour que ceux qui souhaitent transformer la vision en réalité puissent agir. Il encourage la suppression des barrières culturelles et matérielles. Il soutient les hypothèses d’innovations, leurs conceptions et leur mise en œuvre.
Ces mêmes porteurs d’innovations deviennent des « communiquants interne » auprès de ceux qui, à la traine ou dans l’opposition, souhaitent néanmoins rester dans la structure.
6 Produire des réussites : Comme pour le développement du pouvoir d’agir, ce sont les expérimentations concrètes qui font foi.
Dans la démarche de changement, le management suscitera des mises en œuvre réussies, des étapes qui vont dans le sens recherché et améliorent le fonctionnement. Ces avancées sont saluées, voire fêtées.
7 Persévérer : La démarche permet de renforcer et d’accélérer l’évolution. Le management suscite les actions et les soutient concrètement en modifiant l’organisation.
Le management évite l’effet millefeuille en supprimant ce qui n’est plus nécessaire dans le cadre du nouveau contexte.
C’est une phase importante de basculement. Elle peut être euphorique, avec un risque d’épuisement. Le management s’attache à ne pas « charger la barque », tout en entretenant la dynamique et l’enthousiasme.
8 PERENNISER, créer une nouvelle culture : Tant que la culture collective n’a pas basculé, le management verra ressurgir les vieilles habitudes. Il délègue de nouvelles responsabilités aux professionnels qui se sont investis dans le changement et ont développé de nouvelles compétences. Ceux-ci assurent le renforcement des pratiques nouvelles et construisent de nouvelles références collectives.
Quel retour sur investissement d’un tel déploiement d’énergie et de temps ?
C’est l’atteinte de l’objectif dans les meilleures conditions, bien sûr. C’est également l’acquisition d’une compétence collective de management du changement. Elle trouvera à s’employer car :
« Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement » Boudda
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